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Analyse des effets juridiques de la fusion des sociétés en droit guinéen et OHADA

Auteur: Dr. Albert DIONE, Avocat au Barreau de Paris.

 

L'Acte Uniforme l'Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) relatif au droit des Sociétés commerciales et du Groupement d'intérêt Économique (ci-après l' "Acte Uniforme ") a établi les dispositions en matière de fusion entre sociétés commerciales.

Les règles régissant la fusion sont contenues dans les articles 189 à 199 pour les dispositions générales applicables à tous les types de sociétés et les articles 670 à 683 pour les fusions entre SA.


L’analyse des effets de la fusion se fera sans distinction entre les sociétés commerciales telles que listées par l’acte uniforme précité. Sachant que les opérations de fusion peuvent intervenir entre différentes formes de société.


La fusion est définie par l’article 189 de l’Acte Uniforme comme "l'opération par laquelle deux sociétés se réunissent pour n'en former qu'une seule, soit par la création d'une nouvelle société, soit par l'absorption de l'une par l'autre".

Cette définition nous amène à nous interroger sur les effets de la fusion.

Toutefois, avant de régler cette question, nous tenons à souligner que la fusion emporte transmission universelle du patrimoine de la société absorbée et une dissolution sans liquidation de cette dernière.

C’est ce qui ressort de l’article 189 alinéa 3 de l’Acte Uniforme. Cette transmission doit être vue comme une transmission de plein droit. Elle implique, de ce fait, tout autant un transfert d'actif que de passif vers la société nouvelle ou la société absorbante.

Toutefois, si les éléments du patrimoine et les contrats de travail de la société absorbée sont transmis à la société absorbante, il en est autrement pour le sort des dirigeants et associés, des contrats de bail et des créanciers, qui requièrent une attention particulière dans les prochains développements.


L'article 192 de l’Acte Uniforme prévoit la date d'effet de l'opération de fusion.

La date d’effet dépend du type de fusion opérée : absorption ou création d'une nouvelle société.

En cas de création d'une ou plusieurs nouvelles sociétés, la fusion prend effet à la date d'immatriculation au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier de la société créée.

En cas de fusion absorption, la fusion prend effet au jour de la dernière assemblée générale qui a approuvé l'opération.

Cependant, le contrat de fusion peut expressément prévoir une autre date.

Cette date ne peut toutefois être postérieure à la date de clôture de l'exercice en cours de la société bénéficiaire ; ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice clos de la ou des sociétés qui opèrent une transmission de leur patrimoine.


Une fois la fusion opérée, surviennent les effets de cette dernière.

La fusion entraîne la confusion entre les actifs et les passifs des sociétés concernées, entre les salariés, entre les associés et leurs dirigeants.

Si le législateur OHADA a prévu, dans l’Acte Uniforme, les modalités et la procédure de fusion entre sociétés, il n’a pas élargi les effets de la fusion à l’égard des salariés et des contrats conclus intuitu personæ.

Les effets fiscaux aussi ne sont pas traités par l’Acte Uniforme. Il se limite uniquement sur les effets à l’égard des créanciers obligataires ou non, et les bailleurs de locaux à usage professionnel. C’est ce qui résulte de l’article 679 de l’Acte Uniforme. Cette omission que nous pensons volontaire est le corollaire du fait que ces domaines sont réservés aux Etats souverains.


Cet article a pour but de permettre aux futures entreprises qui décident de s’unir à travers une fusion dans l’espace OHADA et plus particulièrement en Guinée de comprendre les effets de la fusion dans ce pays.

Mais force est de constater que le droit interne guinéen a réglé certaines conséquences de la fusion. Notamment en matière fiscale et sociale, à travers le Code général des impôts et le Code du travail.


Compte tenu de ce qui précède, nous allons dévoiler outre (1) les effets à l’égard des associés et des dirigeants, (2) les effets à l’égard des créanciers obligataires et non obligataires, (3), les effets à l’égard des bailleurs de locaux (4), les effets à l’égard des salariés et (5) et le sort des contrats conclus intuitu personae (6).


1.    LES EFFETS DE LA FUSION A L’EGARD DES ASSOCIES ET DES DIRIGEANTS

 

a)    Les effets à l’égard des associés


Au sens de l’article 191 de l’Acte Uniforme, la fusion entraine la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l’état sous lequel il se trouve à la date de réalisation définitive de l’opération.

La fusion entraîne simultanément l’acquisition par les associés des sociétés qui disparaissent, la qualité d’associés des sociétés bénéficiaires dans les conditions déterminées par le contrat de fusion ou toutes les conditions de la fusion sont négociées. L’opération de fusion permet aux associés de la société absorbée de troquer leurs titres contre ceux de la société absorbante.

Une complication peut surgir si la société bénéficiaire est actionnaire de la société qui disparaît ; le rapprochement entre les deux sociétés est concrétisé par la prise de participation, par la future absorbante, dans la future absorbée. Par l’effet de la fusion, la société absorbante devient actionnaire d’elle-même dans la mesure où elle devient associée de la société absorbée. En pareille situation, dans la pratique, on utilise le terme fusion-renonciation [1], ce qui signifie que la société bénéficiaire ne peut pas émettre des actions qui vont lui revenir à nouveau.

L’entrée des nouveaux actionnaires dans la société absorbante ne se heurte pas aux clauses d’agrément[2] du fait de la transmission universelle qu’opère la fusion. Suite à une fusion absorption, la question juridique posée est de savoir si la clause d'agrément prévue par les statuts est applicable à cette opération de fusion ? La Cour d'appel de Rouen considère que la clause d'agrément ne s'applique pas à l'opération de fusion absorption. Les délibérations du conseil de surveillance qui ont refusé la transmission des actions sont annulées. Cette arrivée des actionnaires de la société absorbée dans la société absorbante peut créer un déséquilibre des forces. Alors, les plus diligents s’associeront pour créer une majorité.


b)    Les effets à l’égard des dirigeants


L’Acte Uniforme n’a pas prévu les effets de la fusion à l’égard des dirigeants ; contrairement au droit français. Dans le cadre de la fusion, les dirigeants de la société absorbée perdent leur qualité[3] de dirigeants. Cependant, ils ne sont pas révoqués. Leur sort est régulé pendant les négociations de la fusion. Ils deviennent dans le meilleur des cas administrateur de la société absorbante. Une assemblée ordinaire de la société issue de la fusion nomme les anciens administrateurs de la société absorbée au conseil d’administration de la société absorbante.

La perte de la qualité d’administrateur de la société absorbée n’a pas pour conséquence de faire disparaitre leur responsabilité[4]. Les anciens administrateurs de la société absorbée restent responsables tant sur le plan pénal que civil pour les faits antérieurs à la fusion. La société absorbante peut engager leur responsabilité.

 

2. LES EFFETS A L’EGARD DES CREANCIERS OBLIGATAIRES ET NON OBLIGATAIRES ET DE LA CAUTION


La fusion bouleverse la situation financière de la société absorbante qui peut se retrouver avec un actif élevé, mais aussi un passif élevé. Cette situation soulève un questionnement sur le sort des créanciers de la société absorbée ; deviennent-ils ipso facto créanciers de la société absorbante ? D’un autre côté, le cautionnement accordé à la société absorbée est-il directement transféré à la société absorbante ?


a)   Les effets à l’égard des créanciers obligataires


Pour rappel, les créances obligataires sont issues d’un emprunt obligataire par lequel l’emprunteur reçoit en prêt une certaine somme de la part des souscripteurs des titres.

Il s’agit donc d’un titre de créance : une dette, remboursable à une date et pour un montant fixé à l’avance, qui rapporte un intérêt. Autrement dit, l’emprunteur émet des obligations que des investisseurs achètent. Un intérêt est ensuite versé périodiquement et le capital sera remboursé à une date fixée à l’avance. La fusion bouleverse ce mécanisme de financement. Le sort de ces créanciers est non négligeable au moment de la mise en place de l’opération de fusion et doit être réglé.

 

L’article 678 de l’Acte Uniforme mentionne que le projet de fusion est soumis aux assemblées d’obligataires des sociétés absorbées, à moins que le remboursement des titres sur simple demande de leur part ne soit offert auxdits obligataires. Lorsqu’il y a lieu à remboursement, sur simple demande, la société absorbante devient débitrice des obligataires de la société absorbée.

 

Par ailleurs, en matière de fusion, les créanciers conservent un droit d'opposition. Ce droit est accordé aux créanciers de la société absorbée et également à ceux de la société absorbante qui peuvent redouter de se trouver en concours. C’est pourquoi, l’article précité prévoit de les réunir en assemblée et requérir leur avis par rapport au projet de fusion. Ils peuvent demander le remboursement immédiat de leur créance ou conserver leur qualité dans la société absorbante.

 

Il faut noter que, seuls peuvent former opposition, à l’opération de fusion, les créanciers dont la créance est antérieure à la publicité donnée au projet de fusion. Mais, l'opposition n'a pas pour effet d'interdire la poursuite des opérations de fusion. Le tribunal saisi peut rejeter l'opposition ou ordonner soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société absorbante offre une garantie suffisante. À défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties exigées, la fusion serait inopposable à ces créanciers.

 

b)    Les effets à l’égard des créanciers non obligataires


Si le créancier obligataire est un créancier dont le droit résulte d'un titre d'obligation négociable, le droit du créancier non obligataire résulte de toute autre obligation qui n’est pas un titre négociable sur le marché des obligations.

Par l’effet de la fusion, la société absorbante devient débitrice des créanciers non-obligataires de la société absorbée. Toutefois, cette substitution de débiteur n’entraîne pas la novation à l’égard des créanciers[5].

Ces créanciers conservent donc leur recours contre leur société débitrice originaire tout en devenant, de plein droit, également créanciers de la société absorbante ou des sociétés bénéficiaires des apports consécutifs à l'opération de fusion.

En outre, la faculté est offerte à ces créanciers, dont la créance est antérieure à la publicité du projet de fusion et pour sauvegarder leur droit, de s’opposer au projet de fusion. Mais l’opposition, portée devant le tribunal de commerce, n’empêche pas la poursuite de la fusion. Comme on l’a vu avec les créanciers obligataires, la juridiction saisie ordonne soit le remboursement des créances en rejetant l’opposition, soit la constitution de garantie si la société absorbante offre une garantie suffisante.

À défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties enjointes, la fusion est inopposable à ces créanciers.


c)     Les effets à l’égard de la caution

 

Au sens de l’article 13 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés adopté le 15 décembre 2010, le cautionnement est un contrat par lequel la caution s’engage, envers le créancier qui accepte, d’exécuter une obligation présente ou future contractée par le débiteur, si celui-ci n’y satisfait pas lui-même. L’Acte Uniforme ne traite pas les effets de la fusion à l’égard de la caution. Nous trouvons la solution en droit français.

 

Il ressort d’une jurisprudence[6] française que les cautions garantissant les dettes de la société absorbée restent tenues au titre du passif existant au moment de la fusion, mais elles ne garantissent pas les dettes nées postérieurement à la fusion sauf nouvel engagement exprès de leur part envers la nouvelle personne morale. Par contre, si la garantie a bénéficié non à la société absorbée, mais à la société absorbante, l'obligation de la caution subsiste même pour les nouvelles dettes puisque la personnalité morale demeure.

 

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, portant réforme du droit des suretés en France consacre cette solution, tout comme le nouvel article 2318 du Code civil français qui prévoit que la fusion entraîne l'extinction de l’obligation de couverture de la caution, excepté si elle consent à maintenir son engagement. Si l’obligation de la caution s’éteint à certains égards avec la fusion, Les créanciers de l’obligation ont un droit d’opposition pour sauver leur intérêt.

 

Il est désormais établi que certaines opérations de fusion permettent de mettre fin à un engagement de cautionnement concernant des dettes futures, lorsqu'elles impliquent à la fois la société débitrice et la société créancière, comme en témoigne l'arrêt[7] du 2 juin 2021 de la Cour de cassation française. La cessation de la garantie s'effectue selon les principes bien établis de distinction entre l'obligation de couverture et l'obligation de règlement. L'obligation de couverture, qui peut être considérée comme davantage une limitation dans le temps de l'engagement de la caution qu'une véritable obligation, prend fin à la date de la publication de la fusion. Les dettes contractées après cette date ne sont pas prises en charge par la caution, la période de garantie étant close. En revanche, les dettes antérieures, qualifiées de "dettes de règlement" et consistant en des obligations de paiement ordinaires, font déjà partie du patrimoine de la caution et ne sont pas affectées par la fusion-absorption. Par conséquent, la société absorbante est tenue de les régler.

 

C’est le changement de créancier qui explique cette solution, la fusion-absorption entraînant la dissolution de la société absorbée. La solution est transposable aux scissions, qui entraînent également l’extinction de la personne morale, ainsi qu’aux apports partiels d’actifs, qui transfèrent une branche d’activité dans ses aspects actifs comme passifs à une société bénéficiaire.

 

3.    LES EFFETS FISCAUX


Aux termes de l’article 226 du Code général des impôts de la Guinée, les plus-values réalisées par la société absorbée sur les éléments d’actifs apportés lors d’une fusion sont exonérées de l’Impôt sur les Sociétés, à l’exception des plus-values résultant de l’apport en marchandises. Les plus-values, autres que celles réalisées sur les marchandises, résultant de l’attribution gratuite d’actions ou de parts sociales à la suite d’une fusion de sociétés par actions ou à responsabilité limitée sont exonérées de l’Impôt sur les Sociétés.

Le même régime est applicable lorsqu’une société par actions ou à responsabilité limitée apporte : l’intégralité de son actif à deux ou plusieurs sociétés constituées à cette fin sous l’une de ces formes. Toutefois, le Code pose des conditions à l’application de ce régime d’exonération : il faut que les sociétés bénéficiaires soient résidentes fiscales en Guinée. L’application des dispositions de l’article précité est aussi subordonnée à l’obligation, dans l’acte de fusion, pour la société bénéficiaire de calculer les amortissements annuels déductibles ; les plus-values ultérieures résultant de la réalisation des éléments d’actifs immobilisés en retenant comme prix d’acquisition le prix de revient comptabilisé au niveau des sociétés fusionnées, déduction faite des amortissements déjà réalisés par elles. Il faut aussi que la société bénéficiaire obtienne l’agrément préalable des opérations de fusion ou d’apport par le Ministre en charge des finances.

Cette intervention du Ministre nous paraît raisonnable dans la mesure où il s’agit d’exonérations fiscales. Des opérations de telle envergure, pourraient cacher une fraude à la loi fiscale. Mais l’agrément ne vaut uniquement que pour l’exonération fiscale, elle ne saurait avoir pour effet de bloquer l’opération de fusion.

La fusion soulève la question de la dette fiscale de la société absorbée. On a vu que la fusion emportait transfert de l’actif, mais aussi du passif de la société absorbée. Par cet effet, la dette fiscale est transférée. Or, lorsqu'une société se trouve obligée au paiement total d'une dette fiscale due originairement par une autre société, il convient de la mettre en cause au moyen d'un avis de mise en recouvrement procédant lui-même des avis de mise en recouvrement notifiés à la société absorbée et faisant référence au texte en vertu duquel elle est tenue.

Toutefois, une clause particulière peut écarter la solidarité entre les sociétés bénéficiaires de l'apport, lorsque celui-ci intervient à la suite d'une fusion. Dans ce cas, le contrat de fusion fixe la part du passif, de la société absorbée, incombant à chacune d'elles. Lorsqu'une telle clause a été insérée dans l'acte de fusion, il y a lieu de ne réclamer à chacune des sociétés bénéficiaires de l'apport que la partie du passif fiscal mise à sa charge.


4.    LES EFFETS A L’EGARD DES SALARIES

S’il survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par fusion, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise[8]. Les travailleurs sont libres d’exprimer devant l’inspecteur du travail, leur volonté de mettre fin au contrat en cours avec paiement de leurs droits, avant la modification.

Les contrats de travail sont comme le service ou le département absorbé, transmis au nouvel employeur, en l’occurrence, la société absorbante. Il en résulte que les salariés qui restent dans le service, conservent leur ancienneté, de même que les avantages découlant de leur contrat de travail.

Les contrats à durée déterminée se poursuivent dans les conditions prévues à la conclusion du contrat. En effet, la fusion n’a pas pour effet de rompre ces contrats ni de les transformer en contrat à durée indéterminé.

Il faut préciser que la fusion opère transfert automatique des contrats de travail, il n’est pas requis d’informer les salariés. Mais, si la logique voudrait que ces derniers soient tenus au courant de l’opération, ce n’est pas une obligation, encore moins une condition de validité du transfert[9].

Comme nous l’avons souligné un peu plus haut, le transfert simultané des contrats s’accompagne avec le transfert de tous les droits et obligations attachés au contrat de travail. Il revient à la société absorbante, nouvel employeur, de payer les sommes dues aux salariés avant le transfert.

Il faut retenir que la société absorbée est dans l’obligation de rembourser les sommes acquittées par la société absorbante, à la date de la modification, sauf s’il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans le contrat de fusion. 

La société absorbante n’est tenue que des créances des contrats en cours lors de la fusion. La société absorbante est redevable des salaires dus à la date du transfert, mais non encore payés, de la totalité des indemnités de congés payés, y compris pour la partie de l’indemnité calculée sur le temps de travail effectué dans la société absorbée. Toutefois, la société absorbante peut demander à la société absorbée, le remboursement de la part d’indemnités de congés payés correspondant au travail accompli pour la société absorbée. En outre, la société absorbante est redevable des primes nées après la fusion, même si elles sont calculées sur la période de travail effectuée dans la société absorbée.

Il faut noter que la prime du treizième mois, s’il existe et lorsqu’elle est exigible le 31 décembre, doit être payée par la société du salarié à cette date. Il peut s’agir de la société absorbante si la fusion est intervenue avant cette date[10].

Le Code du travail ne transfert pas à la société absorbante les accords collectifs d’entreprise. Or, cette convention peut être mise en cause lors de la fusion. La logique voudrait que l’accord subsiste jusqu’à son remplacement et que les salariés conservent leurs avantages individuels qu’ils ont acquis. Cependant, cette question qui n’est pas sans intérêt, ne sera pas développée ici.


5.    LES EFFETS A L’EGARD DES BAILLEURS DE LOCAUX


Est réputé bail professionnel toute convention, écrite ou non, entre une personne investie, par la loi ou une convention, du droit de donner en location tout ou partie d'un immeuble, et une autre personne physique ou morale, permettant à celle-ci, le preneur, d'exercer dans les lieux avec l'accord de celle-là, le bailleur, une activité commerciale, industrielle, artisanale ou toute autre activité professionnelle[11]

L’Acte Uniforme ne règle pas clairement le sort des baux commerciaux dans le cadre des opérations de fusion. S’il se borne à prévoir l’opposition des bailleurs sur l’opération de fusion, il ne prévoit rien sur la possibilité de transmettre le bail à la société absorbante.

La question qui se pose est de savoir si la fusion entraîne automatiquement la cession du contrat de bail à la société issue de sa fusion ?

De prime abord, la cession du bail n’est pas interdite. Mais si le preneur cède le bail et la totalité des éléments permettant l’activité dans les lieux loués, la cession s’impose au bailleur. Si le preneur, c’est-à-dire la société absorbée, cède le bail seul ou avec une partie des éléments permettant l’activité dans les lieux loués, la cession est soumise à l’autorisation du bailleur[12].

En principe, la fusion n’entraîne pas automatiquement la cession du bail. Mais il est constant que la société absorbée apporte la totalité de son patrimoine à la nouvelle société. Ceci implique que dans tous les cas, il y a apport ; donc possibilité pour le bailleur de changer de preneur initial.

Le contrat de bail à usage professionnel énonce souvent que la destination des lieux doit être respectée par le preneur. En effet, ce principe peut connaître une dérogation qui consiste au maintien dans les lieux, la nouvelle société qui peut exercer d’autres activités qui n’étaient pas celles exercées par la société absorbée. Dans ce cas, le bailleur obtient une garantie contre le nouveau preneur. La loi française ajoute que si l'obligation de garantie ne peut plus être assurée dans les termes du contrat de bail, le tribunal peut y substituer toutes garanties qu'il jugera suffisantes. Cela doit permettre au nouveau preneur de se libérer de la force obligatoire du contrat en exerçant dans les lieux loués une activité qui n'avait pas été prévue[13].

Dès lors, pour que la cession puisse être automatique, une connexité ou une complémentarité par rapport à l'activité autorisée par le contrat de bail initial est exigée. Autrement dit, il faut qu'il y ait une relation étroite de dépendance[14]. Si cette condition de fond était remplie, la société absorbante n'a pas à demander une autorisation au bailleur. Il a seulement l'obligation de l'avertir de son intention afin que ce dernier puisse constater la relation de complémentarité ou de connexité.

En règle générale, le bailleur peut s'opposer à la fusion ; mais son action peut être rejetée par le juge s'il estime qu'il y a de garanties nécessaires. Le juge fait aussi échec à l'opposition en ordonnant le remboursement des créances de loyers sous réserve que celle-ci soit antérieure à la publicité donnée au projet de fusion. Le délai d'opposition est seulement de trente jours à compter de la publication[15].


6.    LES EFFETS A L’EGARD DES CONTRATS CONCLUS INTUITU PERSONAE


La fusion emporte transmission universelle du patrimoine de l'absorbée vers la société bénéficiaire de la fusion.

En principe, la société absorbante est débitrice des créanciers non obligataires de la société absorbée au lieu et place de celle-ci, sans que cette substitution emporte novation à leur égard. Il résulte de la fusion, une transmission des contrats conclus par l'absorbée au profit de l'absorbante. Il est clair que la fusion n'est pas une cause de novation, ni de déchéance du terme des contrats en cours. Elle implique, à l'inverse, une substitution de contractants. Toutefois, certains contrats ne sont pas transmis du seul fait de la fusion du contractant avec une société tierce. C’est l’exemple des contrats conclus intuitu personae et qui contiennent une clause qui s'oppose à sa transmission automatique à la société née de la fusion[16]. Il en est de même, lorsque le contrat requiert l'accord du contractant, en cas de transfert du contrat consécutivement à une fusion, il n'y a pas transfert automatique de celui-ci au profit du bénéficiaire de la fusion.

Dans ce cas, la force obligatoire du contrat doit l'emporter sur la transmission universelle du patrimoine consécutive à une fusion. Donc, la restriction à la transmission du contrat est une exception au principe de la transmission universelle du patrimoine, posé à l'article 189 al. 3 de l’Acte Uniforme, ces clauses doivent être interprétées strictement. Les parties devront donc apporter un soin particulier à leur rédaction. La stipulation devra viser les hypothèses de fusion ou, plus largement, comme en l'espèce, de transfert du contrat et ne pas se contenter de prévoir le cas d'une cession du contrat. On le sait, la fusion n'opère pas cession du contrat, mais emporte un effet subrogatoire. La clause qui se bornerait à requérir l'accord du cocontractant en cas de cession du contrat serait donc inopérante à l'occasion d'une fusion[17].

La question qui se pose est de savoir, si en l'absence de stipulations expresses du contrat, la règle de la transmission universelle du patrimoine posée à l'article 189 al. 3, s’applique-t-elle ?

La jurisprudence répond par la négative. Elle considère que le contrat, conclu en considération de la personne du cocontractant, ne peut être transmis, même par cession partielle d'actif, qu'avec l'accord du cocontractant[18].


[1] Maurice Cozian, Alain Viandier, Florence Deboissy ; Droit des sociétés, 32e édition, LexixsNexis, 2019. p. 799.

[2] Cass. com, 19 avr, 1972 : Rev. sociétés 1972. p. 105 – Adde CA Rouen, 9 juin 2011 : RJDA 8-9/2011, n°708.

[3] Article L 225-95 du Code commerce français.

[4] Cass. com., 7 avril 2004, ; RJDA/10/2004, n°1118 ; la société absorbante est recevable à se constituer partie civile pour demander réparation aux anciens dirigeants de la société absorbée des dommages en relations avec les actes délictueux, abus de bien sociaux commis au préjudice de cette société..

[5] Article 679 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et GIE.

[6] Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-11.835.

[7] Cass. com., 2 juin 2021, no 19-11313, D.

[8] Article 160.3 du Code du travail de la Guinée.

[9] Cass.soc.,1er avril 1998, n°95-44.943.

[10] Cass. Soc., 11 mars 1992, n° 88-43.447.

[11] D'après l’article 103 de l’Acte uniforme portant droit commercial général (AUDCG).

[12] Article 118 AUDCG.

[13] Article 113 al.1 de l'AUDCG le preneur est tenu d'exploiter les locaux donnés en bail conformément à la destination prévue au bail.

[14] Article 113 al 2 de l'AUDCG.

[15] Article 679 précité.

[16] Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-16.878, Société Garage Loustaunau c/ Société Etablissements Lavillauroy, F-P+B

[17]   [Jurisprudence] La fusion face aux contrats intuitu personae, La lettre juridique, février 2006

[18] Cass. com., 29 oct. 2002, n° 01-03.987, M. Philippe, Henri, Arthur Decaudain c/ Société Sucrerie de Bucy-Le-Long, F-D.

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