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Articulation entre la législation OHADA et le droit interne en matière de règlementation des investissements

Auteur: Alassane DEME, Juriste en droit privé à l’Université Alioune Diop de bambey


Résumé


La réalisation de l’objectif du droit OHADA [1] est subordonnée au transfert d’une portion de la souveraineté normative du droit interne au profit du législateur communautaire.

Ce dernier adopte des normes dites Actes uniformes[2], applicables aux pays membres[3], sans en amont ni en aval, consulté le constituant interne.

Cependant, la plupart des textes adoptés comportent des incomplétudes exigeant le concours du législateur interne[4] pour des questions liées à leur effectivité.

En ce sens, l’approche adoptée surtout en matière de règlementation des investissements, reste différente d’autant plus que la plupart des questions relevant de la souveraineté demeurent à la portée du droit interne et l’OHADA se limiterait ainsi aux aspects liés à la réglementation de l’activité des entreprises.


Introduction


La notion d’investissement est de facto économique[5]. Son incursion en droit, pour certains, est intervenue vers 1928 sous la plume des juges de la Haye dans une décision remarquable[6]. Si son origine est facilement détectable, c’est tout le contraire pour sa définition, qui reste problématique pour d’aucuns[7] et introuvables pour d’autres[8] sous l’angle du droit international des investissements.

Dans l’affaire Salini[9], une décision a été rendue le 23 juillet 2001 par le Centre international de règlement des différends en matière investissement (CIRDI), faisant ainsi, naître deux courants définitionnels de l’investissement.

Un courant objectiviste ayant retenu, nécessairement, quatre critères[10] pour qu’une opération soit qualifiée d’investissement et un courant subjectiviste, qui, au sens de la Convention de Washington du 18 mars 1965, fait reposer la définition sur la volonté des parties.


L’expression de la volonté de ces dernières se manifeste généralement, selon Papa Abdoulaye Diop, soit dans les législations nationales, soit dans les conventions internationales, ceci pourrait servir d’argument probant devant justifier la diversité des définitions d’investissement dans les législations nationales.

Dans la même veine, l’on estime nécessaire de signaler l’absence de définition de la notion de la part du législateur communautaire dit OHADA.

A l’opposé, ceux des pays membres ont, de manière variée, tenté de dire ce qu’ils entendent par l’investissement.

A lecture de l’article 1er _4 du Code des investissements sénégalais, l’investissement est défini comme l’ensemble des « capitaux employés par toute personne physique ou morale, pour assurer le financement des frais de premier établissement ainsi que les besoins de fonds de roulement, indispensables à la création ou à l’extension d’entreprises ».

Un double facteur pourrait expliquer le choix de l’OHADA de procéder à une réglementation partielle des investissements.

D’une part, il y a le fait que très souvent des considérations liées à la souveraineté sont mises en avant constituant un obstacle majeur et, d’autre part, le fait que des organisations voisines s’y intéressent également, à la manière de la CEMAC [11] pour ne citer que celle-ci.

C’est dans ce sillage que le législateur communautaire a pris du recul au profit des législations internes à travers des Codes[12] et Conventions d’établissement[13].

Ce faisant, l’on tentera effectivement, d’apporter une réponse face à la question capitale relative à la manière dont la législation OHADA s’articule avec le droit interne des pays membres de l’espace.

En premier lieu et à l’aide des arguments puisés de la doctrine et des textes, il s’agit de démontrer la volonté manifestée du législateur communautaire d’assainir de manière parcellaire du cadre juridique de ses pays membres (I) et, en second lieu, l’on évoquera le concours des législations internes dans l’optique de compléter (II) le chantier de leur homologue en l’occurrence OHADA.


I. UNE REGLEMENTATION PARCELLAIRE DES INVESTISSEMENTS PAR L’OHADA


L’OHADA est une organisation à vocation juridique regroupant dix-sept pays membres[14]. Elle vise à soigner son espace. Autrement dit, à créer un environnement propice à faire des affaires. Cela découle du préambule du traité notamment au niveau du paragraphe quatrième[15], où il est manifesté une ambition de créer un droit harmonisé, simple et moderne « afin de faciliter l’activité des entreprises ».

En outre, il y est mentionné également l’objectif lié à l’encouragement d’investissement[16]. Pour se faire, ladite organisation procède par l’adoption des instruments juridiques qualifiés Actes uniformes[17] recouvrant essentiellement le droit des affaires ou du moins, une grande partie des disciplines relatives à l’activité des entreprises.

S’interroger sur la question relative à une réglementation partielle des investissements par l’OHADA revient à faire une analyse approfondie des instruments juridiques sus-évoqués, qui, pour l’essentiel, se limitent à la promotion des investissements. Or, une règlementation effective des investissements doit obligatoirement tenir en compte autant la question liée à la promotion qu’à la protection d’investissement.

Sur ce point, l’OHADA a fait preuve d’une réglementation parcellaire occultant un certain nombre de question pourtant nécessaire pour l’effectivité dudit droit.


Cette approche entreprise par le législateur communautaire a été remarquée par Sébastien MANCIAUX qui parle d’ailleurs, de « l’hémiplégie de l’OHADA[18] ». Selon lui, en procédant ainsi, le législateur communautaire prend en considération deux facteurs majeurs.

Le premier serait lié à la souveraineté des Etats le composant, le second correspondrait à l’existence d’autres organisations régionales[19] également compétentes en matière économique et ayant pour objet plus précis l’intégration économique de leurs membres.

Pour finir, à l’effet de démontrer les rapports ou liens entre le droit OHADA et le droit des investissements, l’auteur en question fait part de la présence de quelques dispositions utiles pour les investisseurs, qui tiennent aussi bien la phase relative à la constitution, à l’exploitation qu’à la liquidation des investissements[20].

Par ailleurs, l’on peut étayer l’argumentaire avec les propos d’un brillant avocat en l’occurrence Olivier CUPERLIER, pour qui les règles matérielles du droit OHADA favorisent les investissements. Il aurait remarqué l’absence de règles particulières visant à protéger les investissements[21]. Ce qui lui ferait avancer que la réponse à la question liée à la protection des investissements au sein de l’espace OHADA se retrouvent ailleurs[22].


En conclusion, de ce qui précède, il convient de retenir que la législation de l’OHADA en matière de réglementation des investissements reste limitée voire lacunaire. Cependant, elle est complétée par le droit interne des pays membres.


II. UNE REGLEMENTATION DES INVESTISSEMENTS COMPLETEES PAR LE DROIT

INTERNE


Le droit interne complète le droit OHADA en matière de règlementation des investissements.

En effet, rappelons que les instruments juridiques de l’OHADA ne prennent en compte que la question liée à la promotion des investissements[23].

L’autre préoccupation liée à la protection des investissements découle des textes internes appréciables sous un double angle, il s’agit d’une part, les Codes des investissements établis en la matière, d’autre part, les accords, traités bilatéraux ou multilatéraux d’investissement.

Précisons avant tout, que la règlementation des investissements par le droit interne précède celle du droit communautaire en l’occurrence OHADA.

En effet, en amont l’avènement de celle-ci, la plupart des pays disposaient des lois et/ou des règlements en la matière, qui contenaient des dispositions répondant essentiellement aux préoccupations relatives à la promotion et à la protection des investissements. Néanmoins, l’intérêt ici consiste à mettre l’accent sur l’effet complémentaire du dispositif interne dans le cadre de la règlementation de l’investissement.


Faisons remarquer que les Codes des investissements de nature législative et réglementaire constituent le réceptacle des instruments de protection des investissements. Ceci dit tout simplement, qu’en outre la détermination de la question d’admission[24] ou d’accueil des investissements, les obligations des investisseurs agrées y est traité[25].

En ce sens, plusieurs mesures de garanties en faveur de ceux-ci ont été édictées.


La loi sénégalaise n°2004-06 du 06 février 2004 portant Code des investissements peut servir d’illustration.

En lisant ce texte notamment les articles 4, 5, 6, 7, 8, 9, l’on y croise un certain nombre de mesures, ayant pour vocation de protéger les investissements telles que la garantie et protection de la propriété recouvrant la nationalisation[26] et l’expropriation[27], la garantie des dispositions des devises, de transfert de capitaux, ou encore de transfert de rémunérations.

Ces mesures complètent en grande partie le dispositif juridique de l’OHADA, qui se limiterait aux questions liées à l’attractivité des opérateurs économiques au sein de la zone.


En dehors les textes sus-évoqués, il serait crucial d’évoquer le droit conventionnel, qui joue un rôle important en matière de promotion et de protection des investissements.

Le Sénégal, à l’instar des autres pays membres, a souscrit un bon nombre d’accords ou de traités d’investissement, qui pourraient être considérés comme des instruments juridiques efficaces voire complémentaires du droit communautaire de l’OHADA dans la réglementation des investissements en ce sens, qu’ils insèrent des clauses dont la finalité consisterait à apporter une protection suffisante aux investissements.

A retenir ainsi l’accord relatif à l’encouragement et la protection des investissements entre le Royaume des Pays-Bas et la République du Sénégal, adopté le 3 août 1979 puis entré en vigueur le 5 mai 1981. Accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal sur la promotion et la protection réciproques des investissements, adopté le 26 juillet 2007 puis entré en vigueur le 30 mai 2010 pour ne citer que ceux-là.


Les accords [28] et traités en question contiennent des instruments devant assurer une protection juridique des investisseurs au sein des Etats récepteurs ou signataires.

Les mesures comme le traitement national[29], le traitement de la nation la plus favorisée[30] ainsi que le traitement juste et équitable[31] ne se rencontrent point dans l’arsenal juridique OHADA et pourtant, elles constituent les leviers forts de protection des investissements contre un bon nombre de question relative à la discrimination pour ne citer que celle-ci, vis-à-vis des investisseurs.


En définitive, il importe de retenir que les mesures ou instruments juridiques complétant l’OHADA dans le cadre de la réglementation des investissements relèvent d’un côté des lois ou règlements prenant le qualificatif de Code des investissements, d’un autre des traités, accords ou conventions d’investissements contenant à plus forte raison des mesures de natures protectrices des investisseurs.


[1]Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires.

[2]Article 5 du traité OHADA de 1993 tel modifié en 2008.

[3]Les 17 pays composant de l’espace.

[4]DOGUE Karel Osiris Coffi, « L’OHADA et les mesures nationales incitatives à l’investissements : l’exemple du Togo », Bulletin ERSUMA de pratique professionnelle, Numéro 8/Avril 2018, p.1 et s.

[5]WANE sadou, Cours droit des investissements, Master 2, UADB, p. 4.

[6]ADAMOU Moktar, Droit et investissement en Afrique, colloque scientifique en prélude de la remise des mélanges en l’honneur du Professeur C. Dorothé SOSSA, P. 2.

[7]DIOP papa Abdoulaye, la protection internationale des investissements étrangers en Afrique de l’Ouest : espace CEDAO, thèse, Université COTE D’AZUR, 2018, p. 18

[8]NANTEUL (A), Droit international de l’investissement, 2e Ed. A. PEDONE, 2021.

[9]DIOP papa Abdoulaye, op. cit. p. 20.

[10]L’investissement suppose : l’apport, la durée, le risque encouru et la contribution au développement économique de l’Etat d’accueil.

[11]Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) regroupe six Etats de l’Afrique Centrale suivants : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée –Equatoriale Tchad.

[13]Les Codes des investissements des pays membres.

[13]Les Accords ou traités d’investissements que les pays membres signent aux fins de renforcer la promotion et la protection des investissements. A titre illustratif, l’accord de promotion et de protection entre la France et la République sénégalaise du 26 juillet 2007 pour ne citer que celui-ci.

[14]Il s’agit : Benin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, Cote d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo, RCA, RDC.

[15]Persuadés que la réalisation de ces objectifs suppose la mise en place dans leurs Etats d’un Droit des Affaires harmonisé, simple, moderne et adapté, afin de faciliter l’activité des entreprises.

[16]Préambule du traité OHADA, paragraphe 5.

[17]Art 5 du traité OHADA.

[18]MANCIAUX Sébastian, « Que disent les textes OHADA en matière d’investissement ? », Revue de l’ERSUMA, droit des affaires – Pratique Professionnelle n°1 juin 2012, p. 7.

[19]L’auteur fait allusion à la CEDEAO, CEMAC et consort.

[20]Ibidem., p. 5 et s. Les Actes uniformes sont au nombre de onze (11) l’on peut citer : Acte uniforme portant sur le droit commercial général, Acte uniforme portant organisation des suretés, Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et di groupement d’intérêt économique, Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives, Acte uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route, Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière, Acte uniforme relatif à la médiation, Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, Acte uniforme relatif au système comptable des entités à but non lucratif.

[21]CUPERLIER Olivier, « La protection des investissements dans les pays de l’espace OHADA : un modèle transposable pour une lex mediterranea ? », Ohadata D- 20-08.

[22]Ibidem., p. 5.

[23]CUPERLIER Olivier, « La protection des investissements dans les pays de l’espace OHADA : un modèle transposable pour une lex mediterranea ? », op, cit. p.10 et s.

[24] L’admission est une notion clef du droit de l’investissement. Elle consiste à l’élimination des contraintes de gestion et des obstacles à l’établissement des investisseurs. Il s’agit, tout d’abord, de permettre aux entreprises, par le jeu du traitement national dans la phase pré-établissement, de librement accéder aux marchés nationaux, qui sont générateurs de profits. Il s’agit, par la suite, de faire en sorte que les pays d’accueil assurent des conditions d’égalité concurrentielles, par le jeu du traitement national dans la phase post-établissement, entre les entreprises nationales et les entreprises multinationales.

[25]Art 25 du code des investissements sénégalais.

[26]La nationalisation désigne le transfert à l’Etat d’une entreprise ou d’un secteur de l’économie et implique un choix de haute politique car elle traduit une volonté de modifier durablement la structure d’une économie nationale.

[27]L’expropriation est une atteinte à l’investissement mettant en danger son existence, sa consistance ou sa rentabilité financière et constitue à ce titre une mesure spoliatrice ou dépossédante. L’Etat procédant à une expropriation touchant à des investissements étrangers se doit de respecter certaines conditions. Ces conditions de licéité se retrouvent à l’identique, sinon renforcées, dans de nombreuses conventions. Elles sont au nombre de trois : la nécessité de l’utilité publique de l’expropriation ; la non-discrimination de la mesure de l’expropriation ; enfin, la nécessité d’une indemnisation. Certains accords ajoutent l’une ou l’autre – parfois les deux- des deux conditions suivantes : le respect d’une procédure particulière et le respect d’un engagement particulier relatif à l’expropriation, souscrit par l’Etat d’accueil.

[28] LAVIEC Janvier, Protection et promotion des investissements : Etude de droit international économique, nouvelle Edition, Genève : Graduate Institut publications, 1985, 13 juin 2023. Par un « accord d’investissement », nous entendons une convention passée entre un Etat importateur de capital et un investisseur étranger.

[29]Le traitement national est indiscutablement l’un des éléments fondamentaux de la protection des investissements. Il vise à mettre sur un pied d’égalité juridique des investissements étrangers et nationaux. Il s’agit d’une égalité de régime juridique et des conditions de fonctionnement d’entreprises dans une économie. Cette clause implique en substance, un engagement de la part de l’Etat à ne pas traiter les investisseurs étrangers de manière moins favorable que les opérateurs nationaux qui se trouvent dans les mêmes conditions.

[30]La règle de la nation la plus favorisée s’inscrit dans la continuité directe de la clause du traitement national. Elle implique l’obligation d’accorder aux investisseurs de nationalité étrangère un traitement non moins favorable que celui qui est octroyé aux autres investisseurs étrangers les plus favorisés.

[31]Clause directe de traitement, la clause du traitement juste et équitable de l’investisseur étranger constitue une pratique ancienne. V. LARBI Abdelhalim, Cours de droit international des investissements, année universitaire : 2013-2014, p. 24. 6

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