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Droit de la concurrence au Maroc : De la non-contestation des griefs à la transaction

Auteur: Inès ABDESSELEM, Avocat au barreau de Paris


Les pratiques anticoncurrentielles sont un mal pour la société. Faussant le jeu de la concurrence, elles peuvent notamment entrainer une augmentation des prix sur un marché créant, corrélativement, un préjudice conséquent pour les consommateurs, premiers touchés par ces hausses.

Afin de renforcer la pratique du droit de la concurrence au Maroc, il a été publié au Bulletin Officiel le 25 novembre 2022, le Dahir n°40-21 modifiant et complétant la loi n°104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrenceLoi 40-21 »).


Cette nouvelle loi vient réformer le contrôle des opérations de concentration avec l’établissement de nouveaux seuils qui devront être précisés par voie réglementaire mais également le contrôle des pratiques anticoncurrentielles avec la révision de la procédure de non-contestation des griefs.


Aux termes de la loi n°104-12 dans sa lecture antérieure à la réforme, la procédure de non-contestation des griefs faisait partie de la « panoplie » de procédures dites « négociées » dont disposait le conseil de la concurrence marocain (le « Conseil ») afin de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles.


S’inspirant du « plea bargaining » américain, cette procédure permettait à une entreprise ou à un organisme de renoncer volontairement à contester les griefs, c’est-à-dire les incriminations notifiées par le régulateur, en contrepartie d'une réduction de la sanction encourue et de la prise d’engagements[1].


Reposant sur le principe de contrepartie, cette procédure était, au titre de la loi 104 -12 avant la réforme, un des outils à disposition du Conseil pour :

  • Aboutir à un gain procédural dans le traitement des affaires ;

  • Faire respecter le droit de la concurrence ; et

  • Rétablir rapidement une concurrence sur un marché.


Toutefois, malgré qu’il ne s’agisse pas d’une reconnaissance de culpabilité, il s’est avéré que dans la pratique ladite procédure inspirait la défiance de certaines entreprises. A ce titre, il lui a notamment été reproché son imprévisibilité.


Ainsi, par le biais de la Loi 40-21 cette procédure s’est vue transformée en procédure qui pourrait être qualifiée de « transaction ».


Le présent article présente les grandes lignes de cette nouvelle procédure.

NB : Cette analyse est effectuée sur une traduction non officielle de la Loi 40-21, cette dernière n’étant, à date, pas encore publiée.

I- Sur la mise en œuvre de la nouvelle procédure


- La procédure de transaction, tout comme la procédure de non-contestation des griefs, s’applique aux affaires portant sur les pratiques anticoncurrentielles[2].

Toutefois, il est intéressant de relever qu’aucune disposition transitoire ne semble figurer dans la Loi 40-21 poussant à s’interroger sur l’articulation de la Loi 40-21 avec des procédures qui étaient en cours lors de l’entrée en vigueur de celle-ci.


- Tout comme la procédure de non-contestation des griefs originelle, aucun rapport préalable n’est nécessaire pour que le rapporteur général propose une transaction[3].


- S’il appartient à l’entreprise ou à l’organisme de choisir s’il souhaite ou non contester les griefs qui lui sont notifiés, il apparaît à la lecture du texte, que l’opportunité de proposer une transaction stricto sensu émane du rapporteur général.

Autrement dit, l’entrée dans la procédure de transaction n’est pas automatique pour une entreprise ou un organisme quand bien même il n’aurait pas contesté les griefs.


- La proposition se destine à des entreprises ou des organismes ne contestant pas les griefs qui leurs sont notifiés.

Il convient de préciser, que l’un des objectifs de la procédure tient notamment en l’économie par le Conseil de temps et de moyens.

Ainsi, malgré le silence du texte, il nous apparaît qu’une non-contestation des griefs par l’entreprise ou l’organisme ne pourra pas être partielle et devra donc être totale.


- La proposition de transaction devra être soumise à l’entreprise ou l’organisme concerné après avis du Conseil[4].


- Ladite proposition devra indiquer le montant minimum et maximum de la sanction pécuniaire applicable[5].


- Le rapporteur général devra fixer un délai permettant à l’entreprise ou l’organisme visé d’exprimer ou non son approbation[6].


- Si l’entreprise ou l’organisme approuve la proposition de transaction dans le délai fixé par le rapporteur général, un procès-verbal sera dressé et signé par l’entreprise ou l’organisme concerné ainsi que par le rapporteur général[7].


- Par la suite, le rapporteur général propose au Conseil, qui entend l’entreprise ou l’organisme et le commissaire du gouvernement, sans établissement préalable d’un rapport, de prononcer une sanction pécuniaire dans les limites fixées par la transaction[8].


- La décision du Conseil est notifiée aux intéressés et au commissaire du gouvernement dans un délai de 30 jours[9].


II- Sur la sanction en cas de recours à la procédure de transaction


L’ancien article 37 de la loi n°104-12, prévoyait une réduction de moitié du montant maximum de sanction encourue en cas de recours à la procédure de non-contestation des griefs alors que la Loi 40-12, instaure le principe d’une fourchette de la sanction.

De plus, alors qu’auparavant la détermination de l’amende revenait au Conseil conformément à l’article 39, il semblerait que c’est aujourd’hui au rapporteur général que revient le pouvoir de déterminer la fourchette de sanction qui sera proposée aux entreprises ou organismes concernés.

Cette réforme accorde de facto plus de pouvoir au rapporteur général.


Précisons toutefois, que la proposition de transaction ainsi que la fourchette sera soumise à l’avis du Conseil.

En effet, l’ancien article 37 de la loi n°104-12 prévoyait en cas de non contestation des griefs la faculté pour le rapporteur général de proposer au Conseil de prononcer une sanction pécuniaire prévue à l’article 39 sans établissement préalable d’un rapport, alors que le nouvel article 37 de la Loi 40-21 prévoit désormais la possibilité pour le rapporteur général de soumettre, après avis du Conseil, une proposition de transaction à l’entreprise ou l’organisme ne contestant pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés.

Le recours à un avis du Conseil entraîne une observation. Effectivement, la nature même d’un « avis » souligne que celui-ci n’aurait pas de force contraignante.

Ainsi, il serait intéressant de connaître les conséquences d’un avis négatif du Conseil sur la proposition de transaction et/ou sur la fourchette proposée pour avis de ce dernier par le rapporteur général. Malheureusement, la Loi 40-21 n’apporte pas de précisions permettant de répondre à ce cas de figure.


En tout état de cause, cette réforme permettrait a minima d’apporter plus de prévisibilité à l’entreprise ou à l’organisme concerné.


Cependant, soulignons qu’in fine c’est au Conseil que revient le pouvoir de prononcer la sanction pécuniaire.

Ainsi, le texte précise qu’une fois le procès-verbal de transaction signé, le rapporteur général proposera au Conseil de prononcer une sanction pécuniaire dans les limites fixées par la transaction[10].

De ce fait, le Conseil n’est pas tenu par la proposition du rapporteur.

Les textes restent toutefois silencieux en cas de refus par le Conseil d’appliquer la fourchette proposée.


En amont, nous pouvons préciser, qu’au même titre que l’ancienne procédure, la procédure de transaction permet aux entreprises ou organismes notifiés de prendre des engagements[11].

Cette prise d’engagement pourrait, le cas échéant, jouer sur la fixation de la fourchette.

Cela permettra ainsi à l’entreprise ou l’organisme d’espérer une réduction de la sanction encourue.


Du point de vue du Conseil, cette prise d’engagement aura un double intérêt :

  • D’un côté, cela rendra plus attractif le recours à cette procédure en cas de réduction complémentaire au motif d’une prise d’engagements ; et

  • D’autre part, cela permettra au Conseil de réguler le marché en faisant participer activement les entreprises aujourd’hui, et à l’avenir.


Enfin, notons qu’il ressort du guide relatif à la mise en place de programmes de conformité au droit de la concurrence au sein des entreprises et des organisations professionnelles qu’un recours civil en dommages et intérêts peut être intenté à l’égard desdites entreprises et organisations dans le cas de pratiques anti-concurrentielles devant les juridictions compétentes [12].

Dans le cadre de ces contentieux, il sera, le cas échéant, intéressant d’analyser l’articulation et l’appréciation qui sera faite par les juges du recours à la procédure de transaction devant le Conseil.


[1] Les différentes menaces à la libre concurrence, Halmaoui Loubna, Maissae Boussaouf Revue de Droit Civil, Economique et Comparé, Vol 1 n°1 2020 [2] Article 36 alinéa 1 de la Loi 40-21 précise que le Conseil peut ordonner de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. [3] Article 37 de la Loi 40-21. [4] Idem [5] Idem [6] Idem [7] Idem [8] Idem [9] Article 43 de la Loi 40-21. [10] Article 39 de la Loi 40-21. [11] Article 37 alinéa 2 de la Loi 40-21. [12] Guide relatif à la mise en place de programmes de conformité au droit de la concurrence au sein des entreprises et des organisations professionnelles – Conseil de la concurrence – Edition du 10 janvier 2022.

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