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Le contenu local dans les activités pétrolières et gazières en Côte d'Ivoire

Dernière mise à jour : 19 sept.

Auteurs:  Julien BAUBIGEAT, Avocat au Barreau de Paris, Inès ABDESSELEM, Avocat au Barreau de Paris et Kadiatou TOURE, Juriste stagiaire


La prise de conscience des Etats africains sur la nécessité de trouver un équilibre entre les investissements économiques externes et le développement local dans les secteurs stratégiques n’est pas nouvelle.

En effet, il est important de concilier la volonté de développer des secteurs stratégiques par l’octroi de capitaux étrangers tout en promouvant la participation de partenaires locaux pour garder une certaine souveraineté.  

Sur le plan communautaire il peut être cité l’adoption, dans le secteur minier, de la directive C/DIR 3/05/09 portant sur l’harmonisation des principes directeurs et des politiques dans le secteur minier de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) applicable à tous les Etats-membres de la CEDEAO depuis le 27 mai 2009 et faisant référence à des mesures de contenu local.

De même, le Règlement n°18/2003/CM/UEMOA portant adoption du Code minier communautaire de l’UEMOA et adopté le 22 décembre 2003 [1] mentionne également le recours au contenu local par les états membres.

 

Sur le plan national, plusieurs états ont légiféré et des lois relatives au contenu local ont été adoptées et réformées depuis quelques décennies dans différents secteurs.


A titre d’illustration, le législateur ivoirien a adopté le 13 juin 2022 la loi n°2022-408 relative au contenu local dans les activités pétrolières et gazières (ci-après la « Loi de 2022 ») dont les modalités d’application ont été précisées par le décret n°2023-441 du 24 mai 2023 (ci-après le « Décret »).

Par le biais de ces textes, l’Etat ivoirien vise à [2]:

maximiser la valeur ajoutée et la création d'emplois dans les activités pétrolières et gazières par l'utilisation de l'expertise locale, des biens et services locaux et des entreprises ivoiriennes ;

développer les capacités locales dans la chaîne de valeur de l'industrie pétrolière, notamment par l'éducation, la formation, le développement et le transfert de compétences, le transfert de technologie et de savoir-faire et la recherche et le développement ; et

 ▪ favoriser le renforcement de la compétitivité nationale et internationale des entreprises ivoiriennes et le développement d'un tissu industriel national.


  • La définition du contenu local dans le secteur pétrolier et gazier 

L’article 1.e) de la Loi de 2022 définit le contenu local comme « l’ensemble des actions et initiatives visant à promouvoir et à accroître l’utilisation des ressources humaines et matérielles locales des biens et services locaux des Entreprises ivoiriennes, la formation et le développement des compétences locales, le transfert de technologie et le développement des capacités des entreprises ivoiriennes, et à terme, la valeur ajoutée locale » dans toute la chaîne des activités pétrolières et gazières en amont [3] et en aval [4] (ci-après une « Activité pétrolière et gazière »).

Les « Entreprises ivoiriennes » visées par ledit article ciblent les entreprises ayant leur siège réel en Côte d’Ivoire et fournissant des biens, équipements et matériaux produits exclusivement en République de Côte d’Ivoire ainsi que les services disponibles en République de Côte d’Ivoire.


Ces entreprises peuvent être :


-          Des entreprises individuelles détenues par des nationaux ivoiriens, ou

-      Des entreprises de droit ivoirien [5] détenue à hauteur de 51% minimum par des personnes physiques de nationalités ivoirienne ou par des personnes morales qui, prises séparément, sont contrôlées [6] par des personnes physiques de nationalité ivoirienne.

 

  • Le champ d’application de la Loi de 2022


Materiae :

L’article 2 de la Loi de 2022 dispose que la Loi de 2022 s’applique à toute Activité pétrolière et gazière exercée en Côte d’Ivoire et abroge toutes les dispositions antérieures contraires.

Personae :

La Loi de 2022 vise :

-          Toute société pétrolière de droit ivoirien ou étranger [7];

-          Tout sous-traitant pétrolier ; et

-          Les prestataires et fournisseurs ;

participant aux Activités pétrolières et gazières en Côte d’Ivoire (les « Entités Ciblées »).

 Temporis :

La Loi de 2022 a été adoptée le 13 juin 2022 et est entrée en vigueur à compter de sa publication au journal officiel de Côte d’Ivoire le 19 septembre 2022.

Toutefois, les Entités Ciblées peuvent disposer d’un délai de dix-huit mois au maximum à partir de l’adoption de la Loi de 2022 pour « se mettre en conformité » avec ses dispositions.

Ce délai doit leur être accordé par l’administration en charge des hydrocarbures.

En parallèle, les entités exerçant des activités de sous-traitance pétrolière, de prestation de services ou de fourniture de biens et services dans les Activités pétrolières et gazières et donc, soumises à l’obtention d’un agrément délivré par arrêté du Ministre chargé des Hydrocarbures [8], disposeront d’un délai de 6 mois maximum pour l’obtention de ce dernier.

En tout état de cause, toutes les Entités Ciblées devront respecter et appliquer la Loi de 2022 à compter de décembre 2023. [9]

Enfin, notons que la Côte d’Ivoire dispose d’un Code pétrolier depuis 1996 qui a été modifié en 2012 [10].

Au sein dudit Code, des dispositions relatives au contenu local existaient déjà telles que l’article 53 qui prévoyait, par exemple, que les titulaires de contrat pétrolier ainsi que leurs sous-traitants avaient l’obligation d’employer en priorité du personnel de nationalité ivoirienne.

Afin d’éviter tous conflits, la Loi de 2022 abroge toutes dispositions antérieures contraires [11].


  • Les obligations relatives au contenu local auxquelles sont soumises les entreprises pétrolières et gazières au titre de la Loi de 2022

Au titre de la Loi de 2022 et du Décret, les Entités Cibles sont soumises à de nombreuses obligations.

Deux types d’obligations ressortent essentiellement :

-          d’une part les obligations touchant au recours en priorité au personnel ivoirien ;  et, d’autre part,

-     les obligations relatives au respect de la préférence nationale dans le cadre d’attribution de marchés liés à la sous-traitance, à la prestation de service ou de fourniture de biens et service dans les Activités pétrolières et gazières.

 

Concernant le recours en priorité au personnel ivoirien :

 

Il peut être relevé que l’article 4 de la Loi de 2022 prévoit que les entreprises participant aux Activités pétrolières et gazières en Côte d’Ivoire ont l’obligation de recruter en priorité du personnel de nationalité ivoirienne lorsque ces derniers disposent des qualifications requises. 

Pour s’assurer du respect de cette obligation, l’Etat ivoirien a mis en place des critères objectifs de contrôle.

En effet, des indices ont été fixés afin de contrôler l’application des mesures de contenu local par les entreprises pétrolières et gazières tels que l’Indice de Personnel Local (IPL) qui permet de déterminer annuellement la proportion existante de travailleurs de nationalité ivoirienne parmi tous les travailleurs de l’entreprise [12].

En l’espèce, notons que le terme « travailleur » exclut le personnel mis à disposition par une entreprise de travail temporaire.

Cet IPL a pour but de fixer aux entreprises un quota minimum de travailleurs ivoiriens à respecter pour chaque niveau de poste et tout au long de l’exercice de leur activité.

 

Exemple : L’IPL d’une société pétrolière ayant des activités pétrolières et gazières en amont[13] qui vient de débuter son activité doit être au minimum de 50%.

Cela signifie qu’en l’espèce, à la date de signature du premier contrat pétrolier, ladite société devra s’assurer qu’au moins la moitié de son personnel est de nationalité ivoirienne à chaque niveau de postes. [14]

 

Sous certaines conditions, il est possible de déroger à cette obligation, notamment si le poste visé par le personnel non-ivoiriens ne figure pas dans la liste des emplois exclusivement réservés aux travailleurs ivoiriens dans le secteur des Activités pétrolières et gazières.[15]

 

Par ailleurs, les Entités Ciblées ont l’obligation de contribuer à la formation de la main d’œuvre ivoirienne.

Pour assurer le respect de cette obligation, l’article 27 du Décret prévoit que ces entités ont l’obligation de conclure des accords de partenariat avec des universités ou institution de formation ivoiriens.

 

Concernant la préférence nationale dans le cadre d’attribution de marchés et de l’exercice d’Activité pétrolière et gazière : 

 

Conformément à l’article 5 de la Loi 2022, dans le cadre d’attribution de marchés, les Entités Ciblées doivent accorder la priorité à des Entreprises ivoiriennes, tel que ce terme est défini précédemment, en cas d’offre équivalente.

Dans le cas où une Entreprise ivoirienne ne répond pas aux conditions de marché, la préférence s’oriente alors vers une entreprise constituée et immatriculée en Côte d’Ivoire.

Par ailleurs, les Entités Ciblées doivent également accorder la priorité aux biens et services locaux. 

Pour s’assurer du respect de cette obligation, l’Etat ivoirien a mis en place deux indices permettant de quantifier annuellement le recours aux biens et services locaux par une entreprise intervenant dans les Activités pétrolières et gazières :  l’Indice de Biens Locaux (IBL) et l’Indice de Services Locaux (ISL) [16].

 

En parallèle, la Loi de 2022 catégorise également les activités de sous-traitance pétrolière, de prestation de services ou de fourniture de biens et de services en 3 catégories [17] afin de distinguer :

-    les activités qui sont exclusivement réservées aux Entreprises ivoiriennes (tel que ce terme a été précédemment défini) relevant de la Catégorie A comme la cartographie ou l’échantillonnage ;

-     les activités qui doivent prioritairement être réalisées par des entreprises constituées et immatriculées en Côte d’Ivoire mais qui peuvent être réalisées par des entreprises étrangères en partenariat avec des Entreprises ivoiriennes (tel que ce terme a été précédemment défini) relevant de la Catégorie B comme l’exploitation d’unités de stockage flottantes ; et

-     les activités qui peuvent être réalisées par des entreprises constituées et immatriculées en Côte d’Ivoire ou des entreprises étrangères, qui représentent toutes les activités non classées par le Décret et constituant la Catégorie C.

 

  • Les sanctions relatives à la violation de la Loi de 2022


La violation des obligations relatives au contenu local dans les activités pétrolières et gazières expose à des sanctions administratives infligées par le Ministre chargé des Hydrocarbures. Les faits répréhensibles et les sanctions afférentes sont prévus aux articles 43 et suivants du Décret.


L’article 13 de la Loi de 2022 prévoit que les sanctions peuvent être :


a) la suspension de l'agrément, l'interdiction de conclure des marchés liés aux activités pétrolières et gazières ou le retrait de l'agrément, pour les sous-traitants, prestataires et fournisseurs ;

b) l'impossibilité de recouvrer les coûts liés aux activités concernées pouvant aller jusqu'à la résiliation des contrats de partage de production auxquels sont parties les sociétés pétrolières dans les conditions fixées par le Code Pétrolier ;

c) la suspension ou la résiliation des contrats (autres que les contrats de partage de production) auxquels sont parties les sociétés pétrolières dans le cadre des activités pétrolières et gazières en amont ; 

d) la suspension ou le retrait de l'agrément ou de l'autorisation dont sont détentrices les sociétés pétrolières dans le cadre des activités pétrolières et gazières en aval.


Outre ces sanctions, des amendes administratives allant de 500 000 à 200 000 000 de FCFA (cette amende peut être doublée en cas de récidive) peuvent être infligées à l’auteur [18]. 

 


[1] Union Economique et Monétaire des Etats Ouest-Africaine

[2] Article 3 de la Loi de 2022

[3] Il s’agit de toutes les activités de reconnaissance, de recherche, d’exploitation, de production de transport et de commercialisation d’hydrocarbures, y compris leur stockage, traitement et notamment, le traitement du gaz naturel, à l’exclusion des activités de raffinage et de distribution des produits pétroliers.

[4] Il s’agit des activités de transformation et de raffinage des hydrocarbures, d’importation, d’exportation, de transport, de stockage et de distribution de produits pétroliers et gaziers et leurs drivés notamment la fabrication et la distribution des huiles lubrifiantes.

[5] C’est-à-dire des entreprises constituées et immatriculées en République de Côte d’Ivoire.

[6] En l’espèce, le contrôle d’une personne morale signifie la propriété directe ou indirecte par une autre personne morale ou physique, de 51% minimum des participations composant le capital social de cette personne morale et donnant lieu à des droits de vote. 

[7] Il s’agit ici des sociétés exerçant une Activité pétrolière et gazière en vertu d’un contrat pétrolier, d’un agrément, d’un contrat ou d’une autorisation délivrée par le gouvernement de Côte d’Ivoire.

[8] Article 7 de la Loi de 2022

[9] Article 14 de la Loi de 2022

[10] Loi n°96-669 du 29 août 1996 portant Code Pétrolier, telle que modifiée par l’ordonnance n°2012-369 du 18 avril 2012

[11] Article 16 de la Loi de 2022

[12] Article 5 du Décret

[13] Cf. supra

[14] Article 8 du Décret

[15] Article 10 du Décret

[16] Article 5 du Décret

[17] Article 6 de la Loi de 2022

[18] A toutes fins utiles, précisons que le Décret vient apporter plus de précisions sur les faits répréhensibles et leurs sanctions aux articles 43 et suivants.

 

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